Le Persifleur (Edme-Louis BILLARDON DE SAUVIGNY)

Comédie en trois actes et en vers.

Représentée pour la première fois, sur le Théâtre de la Salle des machines, le 8 février 1771.

 

Personnages

 

LA COMTESSE DE PONTIEU

LA BARONNE DE ***

LA MARQUISE DE ***

SOPHIE

LE COMTE DE VILSIN

LE MARQUIS DE SAINT-CLAR

UN NOTAIRE

UN MAÎTRE D’HÔTEL

UN VALET DE CHAMBRE

 

La Scène est dans le Salon du Château de Pontieu.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LA MARQUISE, SOPHIE

 

LA MARQUISE.

Dans la plus riante campagne,

Si vous vous ennuyez, vraiment vous m’étonnez ;

Au Couvent, l’an passé, j’étais votre compagne,

C’était là le séjour de l’ennui : convenez

Que nous étions pourtant bien folles, ma Sophie ;

Comment votre gaieté s’est-elle évanouie ?

SOPHIE.

C’est dissimuler trop longtemps :

Ah ! Marquise, il m’est impossible

De déguiser mes sentiments ;

Je sens que, pour Vilsin, ma haine est invincible.

LA MARQUISE.

Le Comte de Vilsin, ce fat, ce merveilleux,

Qui, sans quitter jamais le ton du persiflage

Des plus beaux sentiments fait un vain étalage ?

SOPHIE.

Oui, lui-même, il m’est odieux.

LA MARQUISE.

Sans peine je le crois.

SOPHIE.

Vous savez que son Père

Est maître du Château qu’habitaient mes aïeux ;

Eh bien, pour terminer un procès ruineux

Vilsin a proposé de m’épouser.

LA MARQUISE.

J’espère

Que le maître d’ici, le Comte de Pontieu.

SOPHIE.

De sa pupille il ne s’occupe guère ;

Il n’a jamais aimé que la chasse et le jeu :

Il a, des gens de Cour, le langage ordinaire,

Promet beaucoup d’agir, ne se mêle de rien,

Et se croit philosophe en mangeant tout son bien ;

La Comtesse qui, seule, a pris en main ma cause,

Et qui même en fait tous les frais,

Voyant que cet hymen peut finir le procès,

Goutte l’arrangement que Vilsin lui propose :

Comment la refuser, voyez si je le peux ?

Je lui dois tout, j’ai tout à craindre,

Un cœur sensible et malheureux

Est, par-là, doublement à plaindre.

LA MARQUISE.

Je soupçonnais le Marquis de Saint-Clar,

Avant qu’il eût couru la Prusse et l’Allemagne,

De vous aimer.

SOPHIE.

Peut-être.

LA MARQUISE.

Eh mais par quel hasard.

Ne vient-il point ? Est-il à la campagne ?

Que fait-il ?

SOPHIE.

Il est de retour,

Et je dois le revoir avant la fin du jour.

Que pensez-vous de lui ?

LA MARQUISE.

Sans que je vous le dise

Vous le savez déjà : parlez avec franchise,

Vous l’aimez.

SOPHIE.

J’en conviens.

LA MARQUISE.

Eh bien, tenez mon cœur.

Ce choix, dans mon esprit, vous fait beaucoup d’honneur :

Saint-Clar est ce qu’il faut que l’on soit dans le monde,

De nos jeunes Seigneurs l’ignorance profonde,

L’air fat, évaporé ne lui ressemble en rien ;

Connaissant ses devoirs et les remplissant bien,

Il n’a point imité ces héros des toilettes,

Jolis faiseurs de vers, amateurs d’ariettes,

De nos Savants du jour les fatiguant échos,

Qui n’ont pour tout esprit que du faste et des mots.

SOPHIE.

Comme il fait estimer l’honorable indigence,

Comme il ne voyageait qu’afin de s’éclairer,

Il se faisait considérer

Par sa personne et non par sa dépense.

Que nos petits Marquis, alliant les grands airs

À la plus grossière indécence,

Par leur fatuité, leur vices, leurs travers,

Chez les Peuples voisins déshonorent la France ;

Qu’une fausse magnificence

Soit l’unique objet de leurs vœux,

Saint-Clar n’a jamais eu, comme eux,

L’indigne vanité d’afficher l’opulence

Aux dépens de cent malheureux.

LA MARQUISE.

Je crois que ce portrait ne réussirait guère

Près de nos gens d’un certain ton ;

Cependant je ne dis pas non.

Dans leurs petits boudoirs nos femmes s’extasient

Sur les devoirs de l’homme et de l’humanité ;

Nos jeunes gens, entre eux, la plupart se copient ;

Je trouverais plaisant, en vérité,

Que par ce monde-là Saint-Clar fut imité.

Vous ne m’écoutez point.

SOPHIE.

Vilsin est bien habile ;

Le procès l’inquiète, il presse vivement,

Il veut se marier avant le Jugement,

Obtenir même un jour serait très difficile.

LA MARQUISE.

La Comtesse a fini son service à la Cour,

Elle revient, vous l’allez voir paraître,

Et Saint-Clar enivré d’espérance et d’amour,

En toute diligence arrivera, peut-être,

Pour vous voir marier.

SOPHIE.

Il me reste un espoir :

Saint-Clar doit être ici ce soir ;

Il est parent de la Comtesse,

S’il veut y mettre un peu d’adresse,

Il peut l’intéresser.

LA MARQUISE.

C’est ce qu’il faudra voir,

En faveur de Vilsin je la crois prévenue.

SOPHIE.

N’importe, on nous a dit qu’il ne l’a jamais vue,

On peut faire changer le goût qu’elle a pour lui,

Lui dire qu’il n’est plus à la mode aujourd’hui.

LA MARQUISE.

Le faire voir en ridicule,

Je vous seconderai sans le moindre scrupule.

SOPHIE.

Le peindre comme un fat très médiocre, enfin,

L’offrir sous les couleurs que son bon cœur mérite.

Elle aime les portraits, si celui de Vilsin

Est fait adroitement, on peut être certain

De la plus prompte réussite :

Avec M. le Comte il chasse en ce moment,

Et n’a pas pu la voir encore.

LA MARQUISE.

Assurément.

La Comtesse, il est vrai, femme sans caractère,

Suit assez volontiers son premier mouvement ;

Son cœur est aussi bon que sa tête est légère ;

J’ai vu qu’en s’y prenant de certaine manière,

On lui faisait haïr ce qu’elle allait aimer.

SOPHIE.

Ô ! je puis vous le confirmer.

LA MARQUISE.

Cela suffit, j’en ferai mon affaire

Je vois que de Saint-Clar elle sera l’appui,

Et notre merveilleux aura beau vouloir plaire.

Vous pouvez bien compter que tout est dit pour lui.

SOPHIE.

J’entends du bruit, c’est elle ; allons, ma bonne amie,

Ne m’abandonnez pas.

LA MARQUISE.

Du courage, Sophie.

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE DE PONTIEU, LA BARONNE DE ***, LA MARQUISE DE ***, SOPHIE

 

LA COMTESSE.

Six heures pour venir, quel ennui ! la saison,

Marquise est bien insupportable ;

Il fait un soleil exécrable.

C’est odieux !

LA BARONNE.

Ô vous avez raison.

LA MARQUISE.

Assurément.

LA COMTESSE.

Eh bien, Mademoiselle,

Vous plaisez-vous ici ?

SOPHIE.

Madame infiniment.

LA BARONNE.

Ce séjour est divin, délicieux.

LA MARQUISE.

Charmant.

SOPHIE.

Aujourd’hui je lui trouve une grâce nouvelle.

LA COMTESSE.

Qu’elle a de l’esprit, et qu’elle est belle !

À la Marquise.

Nous l’allons marier au Comte de Vilsin,

Je ne pense pas le connaître.

Quel homme est-il ?

LA MARQUISE, faisant signe à Sophie.

Je ne sais.

LA COMTESSE.

Mais enfin.

LA MARQUISE.

Vous verrez ce qu’il est partout ce qu’il veut être.

LA COMTESSE.

Homme à prétentions sans doute ?

SOPHIE, à la Marquise.

Entendez-vous ?

LA COMTESSE.

Parlez à cœur ouvert, la chose est importante,

On peut tout dire ici, nous sommes entre nous.

Faites-moi son portrait.

SOPHIE, à part.

Bon, voilà qui m’enchante.

LA COMTESSE.

A-t-il un Régiment ?

LA BARONNE.

Ô oui, depuis soixante.

LA COMTESSE.

Dit-on qu’il soit bon Officier ?

LA BARONNE.

Il vient d’être fait Brigadier.

LA COMTESSE.

Quel est son bien ?

LA MARQUISE avec dédain.

Dix mil écus de rente.

LA COMTESSE.

C’est-à-dire qu’il est comme tout le monde.

LA MARQUISE.

Oui,

Mais pour le caractère, il n’est comme personne.

LA BARONNE.

C’est le fléau des sots et de l’ennui.

LA MARQUISE.

Il a tous les travers qu’un esprit faux se donne.

Travers si communs aujourd’hui ;

De cent demi talents assemblage bizarre,

Tous les petits succès dont il est ébloui

En font un personnage rare.

LA BARONNE.

Il vous enchantera.

LA MARQUISE.

Souvent même il se pare

Des vertus, des talents, de la gloire d’autrui ;

Il a tout vu, tout fait, et tout dépend de lui.

LA BARONNE.

Je vous le disais bien, c’est un homme incroyable

Que Vilsin, c’est la grâce et la légèreté.

LA MARQUISE.

C’est toujours l’ironie et la fatuité.

SOPHIE.

Continuez.

LA BARONNE.

Oui, c’est vraiment un agréable.

LA MARQUISE.

Il est d’un amour-propre !

LA BARONNE.

Il est d’une gaieté ?

LA MARQUISE.

Il est faux.

LA BARONNE.

Il est sûr.

LA MARQUISE et LA BARONNE.

Dans la société.

LA COMTESSE, à la Marquise.

Je vous entends, il est un peur fat,

À la Baronne.

mais aimable.

LA MARQUISE.

Il vous fera sonner ces magnifiques mots,

Honneur, honnêteté, sentiment et nature ;

Et la candeur d’une âme pure ;

Que sais-je, enfin, cent mille autres propos,

Appas emmiellé qui ne prend que les sots.

Comme on lui passe tout, souvent il a le verbe

Très haut, et quand il cherche à se faire écouter,

Qu’il soit dans ses grands airs ou veuille plaisanter

C’est toujours avec l’air de jouer un proverbe :

Il est grave et bouffon, froid et chaud tour-à-tour,

Et vous persifle même en donnant le bon jour.

LA COMTESSE.

Ah charmant de le voir j’ai la plus grande envie.

Est-il bien de figure ?

LA BARONNE.

Oui, beaucoup mieux que mal.

LA COMTESSE.

Malgré cela je crains que notre original

Ne vaille pas votre copie.

LA MARQUISE.

C’est un assez fade blondin.

L’œil mourant, le teint pâle ; ivre de sa parure ;

Il sourit à lui-même avec un ton badin,

Tenant son jabot d’une main,

Et du bout de ses doigts caressant sa figure.

LA COMTESSE.

Eh mais ! j’ai rencontré dans le monde un Vilsin

Qui doit lui ressembler.

LA BARONNE.

Sa figure est fort vive.

LA COMTESSE.

Ne voit-il pas la Duchesse de Rive ?

LA BARONNE.

Ô non, il n’y va plus depuis...

LA COMTESSE.

Tant mieux pour lui,

Car c’est une Maison où l’on périt d’ennui.

Mystérieusement à la Marquise.

Vous avez sur Vilsin dit tout ce que je pense,

Et très adroitement saisi chaque nuance

De son portrait.

SOPHIE, avec joie.

Eh bien, se fait-elle prier ?

LA COMTESSE, à Sophie.

Et puisqu’il faut vous marier,

J’approuve fort cette alliance.

SOPHIE.

Ciel !

LA MARQUISE, à part.

J’ai pris un moyen qui m’a bien réussi ?

Mais comment se douter aussi...

LA COMTESSE, à Sophie.

Vous êtes enchantée.

SOPHIE.

Ah, Madame !... peut-être

Il ferait mieux de se connaître

Avant de s’engager.

LA COMTESSE.

Je vous approuve fort :

Car, voyez-vous, du pas qu’ici je vous fais faire,

Va pour toujours dépendre votre sort.

Ne précipitons rien dans toute cette affaire ;

Il ne faut pas juger légèrement autrui.

Je sens que pour fonder à fond son caractère,

J’ai besoin d’être au moins un quart d’heure avec lui.

LA MARQUISE, bas.

Ah, quelle folle !

SOPHIE, bas.

Elle me désespère.

LA MARQUISE, bas.

Pourquoi ? vous avez tort, il faudra voir, enfin.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, UN VALET DE CHAMBRE

 

UN VALET DE CHAMBRE.

Monsieur le Comte de Vilsin.

LA COMTESSE, l’apercevant.

Eh oui, j’avais bien dit.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, LE COMTE DE VILSIN

 

LE COMTE DE VILSIN.

Madame la Comtesse

Je devrais par quelqu’un vous être présenté,

Mais mon empressement, c’est une vérité,

L’emporte malgré moi sur ma délicatesse.

LA COMTESSE.

Je suis fort aise de vous voir,

Et de vos compliments, Comte, je vous dispense ?

Car je prétends vous recevoir.

Comme une ancienne connaissance.

LE COMTE.

Ah, de cet excès de bonté,

Mon cœur est vivement flatté !

LA COMTESSE, montrant Sophie.

Nous allons terminer.

LE COMTE.

Madame, je l’espère.

LA COMTESSE.

Tout est à peu près décidé.

LE COMTE.

Ce n’est pas l’intérêt que j’ai dans cette affaire,

Mais c’est par sentiment pour la fille et le père.

LA COMTESSE.

Voilà ce qu’on appelle un très beau procédé.

LE COMTE.

La sensibilité, voilà mon caractère :

D’ailleurs ils ne sont pas de ces sortes de gens.

LA MARQUISE, à la Comtesse.

Bon, il va persifler.

LE COMTE.

Qui se plaisent à faire

Parade de beaux sentiments,

Honneur, honnêteté, candeur, franchise extrême ;

Haine des vices, des travers.

Pitié pour les sots, les pervers ;

Ils ont bien les vertus que j’aime.

SOPHIE.

De grâce, épargnez-nous.

LE COMTE.

Pardon, c’est un malheur,

Mais c’est plus fort que moi, d’honneur ;

J’ai ce défaut là d’être uni, simple, sincère.

D’un air distrait et en allant à la Baronne.

Et je vous parle moi d’abondance du cœur.

LA MARQUISE, à la Comtesse.

De persifler autrui, s’il se donne la peine,

Vous voyez que lui-même il ne s’épargne pas.

LA COMTESSE.

Il n’en croit rien.

SOPHIE.

Mais en tout cas

C’est pour le tenir en haleine.

LA BARONNE, montrant Sophie.

Je vous trouve auprès d’elle un air intéressant.

LE COMTE.

Ô je suis quand je veux un homme attendrissant.

LA MARQUISE, à la Comtesse.

La Baronne l’estime ; au moins on le public.

LA BARONNE.

Aimez-vous la petite ?

LE COMTE.

Ah Dieu, quelle folie !

Vous n’y pensez donc pas ; l’aimer ! c’est un enfant !

À la Comtesse.

Nous parlons de Mademoiselle :

Ah quelle est mise galamment !

Que sa grâce est touchante et vive et naturelle !

En vérité ce négligé charmant,

Vaut la parure la plus belle,

Elle me plaît infiniment.

À Sophie.

Je crois que votre époux deviendra votre amant,

Et je dis même amant fidèle.

SOPHIE.

Ah qu’il est fat ! que je le hais !

LA COMTESSE.

Comte, à propos votre Baronne

Qui donnait des cassés où je vous rencontrais,

Chez elle tout-à-coup n’a plus reçu personne.

LE COMTE.

Vous renouvelez mes regrets ;

C’était une excellente femme.

LA COMTESSE.

Ridicule un peu, soyons vrais.

LE COMTE.

N’importe, je la révérais ;

Elle avait une si belle âme !

LA COMTESSE.

Vous pouviez la révérer, mais

Vous la contrefaisiez avec un grand succès.

LE COMTE.

Ce n’était qu’entre nous, Madame ;

Car jamais autrement je ne me permettrais...

LA COMTESSE.

Pour la société, la voilà donc perdue ;

Au moins apprenez-nous ce qu’elle est devenue.

LA BARONNE.

Elle est morte, je crois.

LE COMTE.

Non pas, mais à peu près.

LA COMTESSE.

À peu près ?

LE COMTE.

Oui. Le jour que Vilsac l’a quittée,

De dépit elle s’est jetée.

LA COMTESSE.

Ciel ! où donc, s’il vous plaît ?

LA MARQUISE.

Dans l’eau ?

LE COMTE.

Non, non, dans la réforme.

LA COMTESSE.

Ah ! la chose est touchante ;

Elle avait quarante ans.

LE COMTE.

Elle en a bien cinquante.

LA COMTESSE.

Elle est dans la réforme.

LE COMTE.

Et vit dans un Château.

Le trait est courageux, mais il n’est pas nouveau.

À Sophie.

Cette vie a pour vous des charmes, ce me semble ;

Elle en aura pour moi mille fois plus encor.

Que l’amour tous les ans six mois nous y rassemble.

L’innocence et la paix sont le premier trésor ;

Nous réaliserons ensemble

La chimère de l’âge d’or.

LA COMTESSE.

Cher Comte, la campagne et l’âge d’or peut-être,

Convenons en de bonne foi,

Ne sont faits pour vous ni pour moi.

LE COMTE.

Ah cependant au fond d’un asile champêtre,

On voit couler les jours sans foins, sans embarras :

Vrai comme la nature, on est ce qu’on doit être,

On n’y désire point être ce qu’on n’est pas ;

Et le premier bien de la vie,

La santé s’entretient dans ce lieu plein d’appas ;

Le seul malheur c’est qu’on s’ennuie.

LA COMTESSE.

Le monde plaît, pourquoi ? c’est qu’il offre un tableau

Dont le cadre est brillant et le fond se varie.

On a de temps en temps du piquant, du nouveau ;

Mais la monotonie est au fond d’un Château.

Que voyons-nous d’ici, dites-moi je vous prie ?

Des troupeaux dans un champ, des gueux dans un hameau,

Et toujours des gazons, des arbres et de l’eau.

SOPHIE.

Saint-Clar ne viendra pas, non.

 

 

Scène V

 

LA COMTESSE, LA BARONNE, SOPHIE, VILSIN, UN MAÎTRE D’HÔTEL

 

LE MAÎTRE D’HÔTEL.

Madame est servie.

SOPHIE, bas à la Marquise.

Je suis au désespoir.

LA MARQUISE.

Patience.

LA COMTESSE.

À propos,

Quoi point d’hommes ici ?

LE COMTE.

Madame, on chasse encore.

C’est un si grand plaisir, surtout quand il fait chaud !

La nuit vous les rendra.

LA BARONNE.

Peut-être bien.

LA COMTESSE.

J’ignore

Comment on peut chasser du matin jusqu’au soir ;

On n’a que le moment de jouer pour le voir.

Le Comte doit dîner chez Madame d’Alaire.

LA BARONNE.

Dites-en bien du mal, si vous voulez lui plaire.

LE COMTE.

J’y suis, j’y suis, laissez-moi faire.

À la Comtesse.

Vous ne la voyez pas.

LA COMTESSE.

Non.

LE COMTE.

Tant pis, c’est fâcheux,

Vous eussiez fait ma paix.

LA COMTESSE.

Ils sont brouillés tous deux ?

LA BARONNE.

Mais à couteau tiré depuis une semaine.

LE COMTE.

Ma foi c’est pour un trait qui n’en vaut pas la peine ;

Vous rendez bien justice à mon honnêteté.

Elle a de la jeunesse, elle a de la naissance.

Un de nos Financiers des plus riches de France,

Se trouve son époux. Je crois, en vérité,

Que son état va bien avec l’air d’importance

Qu’elle a dans la société.

Nous nous étions montés sur un ton de gaité

Chez elle un soir, et l’on convint d’avance

Que tout ce qu’on dirait serait sans conséquence.

Cinq ou six filles, là, de très bonne maison,

Qui contre un bien solide avaient troqué leur nom.

Étalaient à l’envi la plus grande opulence,

Quand, par un cas plaisant, dans notre comité,

Tout ce qu’on appelait femme de qualité

Étaient des filles de finance.

Je le fis remarquer, mais sans malignité,

Je vis qu’on en riait et j’en fis un proverbe ;

Par nos conventions j’étais autorisé,

Déjà l’on s’en était un moment amusé,

Déjà je finissais une scène superbe :

Mais Madame d’Alaire alors se ravisa.

En affaire d’État un simple badinage

Soudain se métamorphosa.

La dignité du personnage

Terriblement m’en imposa,

Je restai court et l’on me persifla.

À dîner je prétends vous dire

La fin de cette histoire-là,

Et d’où vient l’humeur qu’elle en a ;

Je vous ferai mourir de rire.

 

 

Scène VI

 

LE COMTE DE VILSIN, LA BARONNE

 

LA BARONNE.

Il ne faut pas ici longtemps nous arrêter,

Comte. Jusqu’à présent tout va le mieux du monde,

La Comtesse est pour vous, vous allez l’enchanter.

VILSIN.

La petite Sophie a l’air de résister

À cause de Saint-Clar. Mais que l’on me seconde,

De haute lutte ici je prétends l’emporter.

LA BARONNE.

Saint-Clar vient, la Comtesse est, dit-on, sa parente.

VILSIN.

Bon, tout cela n’a rien qui m’épouvante ;

Je lui prépare un tour de ma façon.

Je persiflerai tant notre jeune Caton,

Qu’il faudra qu’il s’impatiente.

On fait que la Comtesse est folle, extravagante,

Un tour fait à Saint-Clar lui paraîtra bouffon.

Le ridiculiser, c’est le couler à fond.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LA BARONNE, VILSIN

 

VILSIN.

Dites-moi donc par quel hasard,

La Marquise aujourd’hui s’intéresse à Saint-Clar ?

LA BARONNE.

Elle vous aime, elle a, je vous le jure,

Fait de vous, mais d’après nature,

Le portrait le plus dénigrant :

Et, soit dit entre nous, ce qui m’a tant fait rire,

C’est que notre Comtesse, en ne cessant de dire

Que rien n’était plus vrai, vous a trouvé charmant.

VILSIN.

Je le crois bien, je me défie

De la Marquise et surtout de Sophie ;

Mais contre elles déjà je me suis préparé ;

Saint Clar est mon rival et rival préféré.

Je m’en vais peloter en attendant qu’il vienne.

À la Comtesse hier au soir,

Je fis un tour parfait. Je m’en fus à Compiègne,

Comme vous le savez, à dessein de la voir.

Je descendis chez Madame d’Albie.

LA BARONNE.

Vous m’allez compter là quelque bonne folie.

VILSIN.

M’avez-vous vu jamais en femme ?

LA BARONNE.

Non vraiment.

VILSIN.

Tans pis, sans vanité je suis assez jolie.

J’arrivais, on arrange un proverbe à l’instant ;

Les deux filles, le père étaient de la partie ;

Je n’en ai jamais vu de plus réjouissant.

Tisbé faisait la prude, et la grosse d’Alban

Faisait l’Agnès, ou bien la voulait faire ;

Ce n’est pas là le plus plaisant.

LA BARONNE.

Quoi !

VILSIN.

Le père jouait le rôle de leur père

Vraiment à s’y tromper ; moi, je faisais la mère.

La Comtesse attendue, arrive en ce moment,

Et se méprend d’abord à mon déguisement.

Le jour prêt à tomber, le lieu me favorise,

Je m’en aperçois, je m’avise

D’un trait bien incroyable et bien extravagant.

J’interromps le proverbe et me donne pour femme

D’un gros Négociant d’Hambourg ;

J’ai pour unique fruit de ma pudique flamme

Un enfant de quinze ans, belle comme le jour.

En bonne mère de famille.

Je veux pourvoir au mieux ma fille

À qui je donne un million.

On cite alors Saint-Clar dans une occasion ;

Je l’ai vu dans Hambourg et je me le rappelle ;

Du mari que je cherche il est le vrai modèle.

Je me sentais pour lui de l’inclination.

La Comtesse saisit la conversation,

Parle de mariage, et de fil en aiguille,

Me propose Saint Clar et je promets ma fille.

LA BARONNE.

Votre fille, ah ! c’est là ce parti si brillant,

Dont à diner tout bas elle me parlait tant.

VILSIN.

Complimentez-moi donc.

LA VICOMTESSE.

Le tour est impayable.

VILSIN.

Il faut que la Comtesse ait perdu la raison

Pour avoir pu donner dans un piège semblable ;

Mais moi qui l’ai tenté je suis plus excusable,

Car du siècle où l’on vit il faut prendre le ton,

Et plus le tour est fou plus il est raisonnable.

 Le secret est encor gardé dans la maison,

Ainsi Saint-Clar est pris qu’il y consente ou non.

LA VICOMTESSE.

J’aime que la Comtesse en fasse votre gendre,

Je vois d’ici le Marquis s’en défendre.

Comme il va l’excéder en lui parlant raison !

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, LA BARONNE, LA MARQUISE, SOPHIE, VILSIN

 

Pendant cette Scène on prend le Café.

LA COMTESSE.

Comte nous passerons l’été sans doute ensemble.

LE COMTE.

C’est le plus cher de mes souhaits.

LA COMTESSE.

Il faut en faire un peu les frais,

On le doit quand on vous ressemble,

Et je compte sur vous.

On prend les sièges.

LE COМТЕ.

Ô tant que vous voudrez,

Mesdames, j’y consens ; vous me seconderez.

PLUSIEURS DAMES.

Oui, oui.

LE COMTE.

D’abord il faut jouer la Comédie

Et l’Opéra Comique. Avez-vous de la voix ?

Les proverbes sont ma folie.

LA BARONNE.

Je n’en connais encor de lui que deux ou trois,

Il les rend, mais avec une grâce infinie.

LA COMTESSE.

C’est qu’il a tous les tics.

LA BARONNE.

Il fait tous les parois.

LA COMTESSE.

Il prend tous les accents.

LA MARQUISE.

Savez-vous qu’autrefois

Il nous faisait aussi d’excellentes parades.

LA MARQUISE.

Je le trouve étonnant dans les rôles Bourgeois.

SOPHIE.

Et moi dans les Abbés.

LE COMTE.

Mesdames je vous crois.

LA COMTESSE.

Je raffole de ses charades.

Il imite, à lui seul, un Orqueste à la fois.

LA BARONNE.

Ce n’est rien que cela, voyez-lui contrefaire

Nos étourdis de soixante ans.

VILSIN.

Ces invalides de Cythère,

Petits vieillards décrépits, sémillants,

Qui, sous un faux toupet cachant leurs cheveux blancs,

Ont encor la fureur de plaire.

J’ai les airs nonchalants, les petits tons coquets

De nos Marquis délicats et fluets.

Remarquez-vous mon air d’ironie et d’aisance

Regardant Sophie.

Quand j’aborde une femme avec prétention ?

SOPHIE.

C’est la chose elle-même.

LA BARONNE.

Oui.

LA MARQUISE.

Bien plus qu’il ne pense.

LE COMTE.

Ce maintien roide en jouant l’importance,

Ces saluts de protection.

Je vais prendre à présent l’air capable et sévère

Des jeunes Courtisans qui font les vieux Seigneurs.

J’ai bien fait rire un jour la petite d’Alquère

Quand elle reconnut ses frères et son père.

LA BARONNE.

Incroyable.

LA COMTESSE.

Excellent.

LA BARONNE.

Et l’air des protecteurs !

Vous le saisissez bien.

VILSIN.

Quoi, de nos amateurs 

Petits pédants ambrés ; non je ne les vois guère.

Ils sont passés de mode, on n’en fait plus de cas ;

Mais nos bureaux d’esprit font de petits états.

Voisins du pays des chimères,

Où des Armides sans appas

Rassemblent leurs amis, roitelets littéraires.

Par eux tout est jugé définitivement,

Innovant dans les arts ou se l’imaginant,

Des réputations distributeurs habiles,

Cent fanatiques imbéciles

Qui vont toujours les admirant,

Subalternes Midas et femelles Puristes.

Qui pensent tout savoir et veulent tout juger,

Entrainent le Public, oppriment les Artistes,

Et pour les avilir veulent les protéger.

Si quelqu’un par hasard avec de la naissance,

De protéger encore à la prétention,

Il ne faut pas tirer la moindre conséquence ;

Car c’est pour recrépir sa réputation ;

Ou pour avoir une existence.

LA MARQUISE.

Le trait me paraît fort.

LE COMTE.

Vous m’y faites penser,

Ceci dit entre nous ne doit pas nous passer.

À propos d’amateurs j’imagine une chose,

M’avez-vous vu jamais improviser ?

LA MARQUISE.

Non.

LA COMTESSE.

Vous n’avez rien vu ?

LE COMTE.

Faut-il bien s’amuser ?

LA MARQUISE.

Oui, tant que nous pourrons.

LE COMTE.

Eh bien, je vous propose

Des Drames en musique ou des Drames en prose.

PLUSIEURS DAMES.

En impromptu ?

LE COMTE.

Mais oui, l’homme le plus commun,

Le plus mince amateur, Madame, en va faire un.

Aussi c’est pour cela qu’ils ont la préférence.

Des morts, des échafauds, une sublime horreur,

L’accent de la nature indiqué par l’auteur,

La pantomime de l’acteur,

Et ces gros points qui font deviner ce qu’on pense,

Sont bien plus vrais que l’éloquence :

Il faut toucher les yeux pour arriver au cœur.

LA COMTESSE.

Ah qu’il est naturel !

LA BARONNE.

C’est un ton, une aisance !

SOPHIE.

Et sans vouloir être plaisant.

LE COMTE.

Ce qu’on nomme un plaisant, ma foi, je le déteste,

Et les prétentions à l’esprit ; mais, au reste,

Il faut à la campagne, être gai, complaisant,

De la gaité surtout, tenez, comme à présent.

LA COMTESSE.

Moi, j’aime infiniment la gaité naturelle.

LE COMTE.

Tous n’ont pas, comme vous, le bonheur de l’avoir.

LA COMTESSE.

La Duchesse de Rive, est un parfait modèle.

VILSIN.

Elle m’amuse fort, elle voit tout en noir.

Bel-esprit par système et frondeuse éternelle,

De préférence elle reçoit

Des gens que dans le monde à peine on entrevoit,

Tout son plaisir est d’être singulière !

De prétendre au grand mot considération ;

Et surtout de rompre en visière,

Aux gens qui font du meilleur ton.

Vous savez à présent comme on fête, on caresse

Partout la vieille de Verprix,

Qui, pour faire oublier les torts de sa jeunesse,

De bons mots très mordants égaya tout Paris,

La Duchesse ose bien s’en plaindre,

Tout comme d’une chose étrange à concevoir,

C’est pourtant simple, on a commencé par la craindre,

Et l’on a fini par la voir.

LA COMTESSE.

À propos de cela voit-elle Dandermonde ?

LE COMTE.

Non.

LA COMTESSE.

Lui, qui va partout, qu’on s’arrache à présent.

LE COMTE.

Elle lui trouve un ton trop libre.

LA COMTESSE.

Cependant

Il a son franc parler, c’est reçu dans le monde.

PLUSIEURS DAMES.

C’est reçu ?

LE COMTE.

Rien n’est si plaisant,

Elle refuse de voir même

Jusqu’à sa belle-sœur.

LA COMTESSE.

Quoi, la jeune de Cleme

Qui vient de s’afficher ! ô bien, elle a raison.

LE COMTE.

Mais je parle de l’autre aussi.

LA COMTESSE.

De l’autre ! bon ?

Quoi ! l’autre belle-sœur ? quel ridicule extrême !

LE COMTE.

Mais son goût pour Vaucler.

LA COMTESSE.

C’est un homme connu,

C’est différent ? Vaucler depuis très longtemps l’aime,

C’est un goût respectable, en un mot, c’est reçu.

PLUSIEURS DAMES.

C’est reçu, tout est dit.

LA COMTESSE.

Cher Comte, votre amie

Est bégueule à l’excès.

LE COMTE.

Je ne puis le nier.

Mais de ce rôle-là peut-on mieux s’acquitter ?

N’est-il pas vrai qu’il est des devoirs dans la vie,

Dont il ne faut pas s’écarter ?

À quarante ans, l’époque est malheureuse,

On n’a que deux partis, bel esprit et joueuse ;

Ce dernier ne vaut pas la peine d’en parler ;

On rencontre partout de ces vieilles momies,

Dont l’aspect vous fait reculer,

Qui s’acharnent sur vous ainsi que des furies,

Semblent, en vous trichant, vouloir vous égorger,

Passent au Cavaignol les trois quarts de leur vie,

Ou près d’un Vingt-et-un viennent vous allonger

Une main qui ressemble aux griffes des Harpies.

LA BARONNE.

Je vous le disais bien ; le Comte est précieux.

LA COMTESSE.

La femme bel esprit vaut infiniment mieux.

LA MARQUISE.

Je crois qu’elle se donne un plus grand ridicule,

Car il faut tant d’acquit.

LE COMTE.

Bon, fut-elle un Oison,

Qu’elle se voue aux gens à réputation,

’en fais une Sapho. Le Public est crédule,

Mais je veux qu’en tenant une bonne maison :

Elle tranche surtout, sans rime ni raison,

Vous ne savez donc pas que l’esprit s’inocule ?

La vaporeuse à son docteur,

Et la femme d’esprit son inoculateur.

On entend du bruit.

LA COMTESSE.

Quelqu’un nous arrive, je pense,

Le Marquis de Saint-Clar doit-être ici ce soir.

LA MARQUISE.

C’est lui, sans doute, il meurt d’impatience

D’avoir l’honneur de vous revoir.

LA COMTESSE.

Savez-vous qu’il a fait une absence incroyable ?

LE COMTE.

Saint-Clar qui vient de voyager,

Il a pris certain air raisonnable, étranger

Que je trouve excellent ; d’ailleurs, je le révère,

Il revient d’Allemagne, il est grand Militaire.

LA MARQUISE.

Il a l’esprit vraiment solide et délicat,

Très aimable.

LE COMTE.

Surtout dans un jour de combat.

LA BARONNE.

Ah ! Madame, il faudrait le lui voir contrefaire.

LA COMTESSE.

Voyons.

LE COMTE.

Dispensez-m’en, car je le considère.

Je n’oserais.

LA COMTESSE.

Eh bien, quelle simplicité !

LE COMTE.

Vous ne connaissez pas encor mon caractère ;

Toujours devant les yeux j’ai la peur de déplaire,

Je suis un enfant, moi, pour la timidité.

Essayons ; mais songez, Madame la Comtesse,

Que c’est vous qui me l’ordonnez.

J’arrive par ici. – Lentement je m’empresse. –

Voici que du Château, je cherche la Maîtresse. –

J’ouvre, d’un air distrait, deux grands yeux étonnés.

LA COMTESSE.

C’est une bonne créature

Que le Comte.

LE COMTE.

Voyez que je prends un maintien,

Quand je vous reconnais je cours. « Je vous assure

« Que je me suis vingt fois présenté. »

Baisant la main de la Comtesse.

LA BARONNE.

Bien.

LA COMTESSE.

Très bien.

LE COMTE.

À votre porte.  – on rit, – et je ne dis plus rien.

Je suis un peu sérieux, un peu tendre.

À Sophie.

Je vous salue, et vous me regardez,

Plus tendrement, vous m’entendez.

Ou vous ne voulez pas m’entendre.

SOPHIE, à part.

Saurait-il mon secret ?

LA COMTESSE.

C’est frappant.

LA BARONNE.

C’est cela.

LE COMTE, regardant Sophie.

C’est pour vous éprouver ce que j’en ai fait là.

À présent tout de bon je vais mieux vous surprendre.

Il va jusqu’à la porte, et regarde.

Ce sera si frappant que vous crierez : Holà.

On ouvre, l’on annonce, il paraît, le voilà.

Il présente effectivement le Marquis de Saint-Clar, en disant ces derniers mots.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, LE MARQUIS DE SAINT-CLAR

 

LE COMTE, poussant le Marquis de façon à l’empêcher de voir la Comtesse.

Que je t’embrasse... encor.

LE MARQUIS.

Quel excès de tendresse !

Laisse-moi saluer Madame la Comtesse.

Il la cherche des yeux.

LE COMTE éclatant de rire.

Mais voyez-vous comme il a l’air surpris ?

LE MARQUIS.

Ah ! Madame, depuis mon retour à Paris,

Baisant la main de la Comtesse.

Je me suis présenté vingt fois à votre porte.

Les femmes rient.

LE COMTE.

Tu le vois, mon ami, le plaisir nous transporte.

LA COMTESSE, en riant.

Marquis, pardonnez-moi mon incivilité,

Ce que nous faisons là, d’honneur, est effroyable. –

Le Comte de Vilsin., – Si vous pouviez savoir. –

Il nous a tant fait rire. – Il est insupportable.

LE COMTE.

Je le reconnais bien.

LA COMTESSE, en riant.

J’en suis au désespoir.

Sophie est placée de façon que le Marquis ne saurait aller près d’elle.

LE MARQUIS.

Madame, pourquoi donc ? Le bonheur de vous voir

Me dédommage assez.

LA COMTESSE.

Vous êtes bien aimable.

LE COMTE.

Il est vrai ; convenez que le Marquis au fond

À bien la plus belle âme, est le meilleur garçon.

Le Comte fait signe à la Baronne qui se lève et affecte de parler bas au Marquis pendant ce temps-là. Bas à la Comtesse.

L’avez-vous vu quelquefois en colère ?

La chose est très facile, et rien n’est si bouffon.

Il ne saurait souffrir qu’on le plaisante.

LA COMTESSE.

Bon,

Vous nous en donnerez le plaisir, je l’espère.

LE COMTE.

Volontiers ; vous verrez quelle humeur, quel jargon ;

Le cher Saint-Clar me boude ;

Plus haut.

oui, vous avez raison.

Je vous dirai pourquoi, la cause en est légère.

À son retour de Vienne il fut d’abord souper

Chez une jeune Présidente,

Où l’on s’était donné le mot de l’attraper.

En Baron Allemand j’arrive, on me présente ;

J’avais une perruque admirable, excellente,

Des sourcils, une voix vraiment à s’y tromper ;

Il est des nœuds secrets, il est des sympathies.

D’une belle amitié nous nous prenons tous deux,

On faisait un silence, il ouvrait de grands yeux,

Mes mines, mon jargon, mon air, mes reparties,

Mes qui pro quo surtout étaient divins,

C’était autour de nous des rires inhumains,

Et lui dans tout cela, l’enfant qui vient de naître.

De plus en plus je le poussais,

Et même en lui parlant je le contrefaisais

Sans qu’il ait pu me reconnaître.

LE MARQUIS.

Seras-tu le même toujours ?

Veux-tu toujours prétendre au titre d’agréable ?

Le persiflage, en vogue de nos jours,

Est le ton le plus détestable.

LE COMTE, à la Comtesse et à la Baronne.

Vous voyez.

À Saint-Clar.

J’en conviens.

LE MARQUIS.

Il n’est accrédité

Que par ces cœurs glacés, par ces petites âmes

Dont la souplesse ou la futilité

Sait caresser la vanité

De nos Riches oisifs, de ces Grands, de ces femmes.

LE COMTE, à la Comtesse et à la Baronne.

Eh bien !

LE MARQUIS.

Qui n’ont ni meurs ! ni sensibilité.

LE COMTE.

Il est vrai qu’on les voit dans la société,

Montrant le Marquis.

À la victime qu’on immole

Devoir tout le succès de leur malignité.

LE MARQUIS.

Et les premiers martyrs d’une fausse gaieté,

N’être plaisants que sur parole.

LE COMTE.

Je t’y prends, mon ami, tu veux être mordant.

À la Comtesse.

Triste Prôneur des mœurs antiques.

Il m’a pulvérisé par ses bons mots gothiques.

LA COMTESSE.

C’est qu’il ne sait rien voir en grand.

LE COMTE.

Vous voyez contre moi comme Saint-Clar s’anime,

Et vous savez pourtant si je l’aime et l’estime.

LA COMTESSE, à Saint-Clar.

Il m’a parlé de vous d’un ton qui m’a touché.

LE COMTE.

Tu ne sais pas combien je te suis attaché ;

Crois-moi, voyage moins, et connais mieux la route

Qui mène à la fortune, aux honneurs, au crédit ;

Quoi qu’on pense, quoi qu’il en coûte,

Il faut prendre toujours le ton qui réussit.

Je suis fâché qu’un rien allume ta colère,

Car j’ai vu, par exemple, à ton air étonné,

Que de te persifler tu m’avais soupçonné.

LA COMTESSE, se levant.

Votre morale est trop sévère,

Et votre esprit me semble encor plus ombrageux

Mais j’aime votre caractère,

Et pour mieux l’adoucir, je veux

Que bientôt une femme aussi belle que sage,

En s’unissant à vous, puisse vous rendre heureux.

LE COMTE.

Son bonheur et le mien seront donc votre ouvrage.

LA COMTESSE.

Oui, vous serez contents tous deux.

LE MARQUIS.

Ah ! j’en accepte le présage.

LE COMTE.

Accepte, tu fais bien. – La chasse est de retour.

LA COMTESSE, au Comte.

Bon. Je vais m’occuper de votre mariage,

Quand il sera fini...

LE COMTE.

Saint-Clar aura son tour.

SOPHIE, au Marquis en sortant.

Défaites-vous, la chose est possible,

Du Comte de Vilsin.

LE COMTE.

Leur amour est visible.

SOPHIE.

J’aurais à vous parler.

LE MARQUIS.

Vous allez revenir.

LA MARQUISE.

Attendez-nous.

LE COMTE.

Comment ! la petite lui donne

Un rendez-vous ! Fort bien. Ah ! c’est qu’elle est si bonne !

Il faut m’en amuser d’abord, et les punir.

À Saint-Clar.

Adieu.

À part.

Faisons semblant de les laisser ensemble.

LE MARQUIS, faisant signe à Sophie.

Bon, il sort.

LE COMTE, s’arrêtant.

La voilà qui reparaît.

SOPHIE, s’éloignant et faisant signe à Saint-Clar.

Je tremble.

LE COMTE.

Emparons nous de lui, le contrat se fera ;

Je m’amuserai d’eux pendant tout ce temps-là.

 

 

Scène IV

 

LE COMTE, LE MARQUIS

 

LE COMTE.

Je t’aime, moi ; je sens que ton état me touche

 Ne crois ni m’éviter, ni me fermer la bouche.

J’ai goûté tes avis, et je veux à mon tour

T’apprendre un peu l’étiquette du jour.

Au temps jadis, on était petit-maître,

On avait de grands airs, et l’on faisait du bruit ;

On devint élégant, sans peine j’ai su l’être,

Du goût, de la figure et du jargon suffit.

Le ton de persifler demande plus d’esprit :

Tu ne sens pas combien ce rôle est difficile ;

Pour persifler il faut des droits,

Parler, juger de tout en connaisseur habile,

S’en mêler même quelquefois,

Melcour se plaint d’avoir une âme trop sensible,

Quand il veut plaire aux gens à sentiment,

Des traits d’honnêteté semés adroitement,

À Monmoreuil font tout l’honneur possible.

En fait d’honneur surtout on trompe à peu de frais ;

Mais il faut du calcul, la règle est infaillible ;

Savoir sacrifier de petits intérêts,

Vous donne le renom d’un homme incorruptible ;

C’est de ce manteau-là qu’il faut être couvert,

La chose naît, mais le nom sert.

LE MARQUIS.

Ce ne peut être là, je crois, votre système ;

Mais en tout cas votre calcul est faux :

Le beau plaisir de plaire aux sots,

Pour être en horreur à soi-même !

Si je me hais, qu’importe que l’on m’aime.

Toujours craindre de voir ses coupables travers,

Malgré tous les efforts au grand jour découverts,

N’est-ce pas un supplice extrême ?

Car tôt ou tard enfin il arrive un moment

Où le plus fin s’oublie, où l’acteur le dément,

Quand le rôle est trop difficile :

Les autres ont des yeux, l’instant n’est pas prévu,

La nature l’emporte, et bientôt l’homme est vu :

À la saine raison l’honnête-homme docile

Sans effort vit content, sans calcul est utile,

C’est pour lui qu’il est estimé,

Malheureux, il est plaint, aimable, il est aimé,

Son commerce est toujours plus sûr et plus facile,

Il est sans crainte, sans détours,

Et ce qu’il est une heure, il sera toujours.

Il veut sortir.

LE COMTE, l’arrêtant.

La morale me plaît, elle est neuve et brillante ;

Voilà ce qu’on appelle une tête pensante.

Mon calcul est donc faux ; l’avis est important,

Il vaut bien qu’on y réfléchisses :

Et qui t’a dit qu’on craigne tant,

Et que soi-même on se haïsse ?

Tu peux te rassurer sur l’un et l’autre point,

Je n’appréhende rien, et je ne me hais point.

Ma foi je goûte un sort des plus dignes d’envie,

Et ma fortune est en bon train,

Il suffit seulement de faire son chemin,

Dès qu’il est fait, c’est pour la vie.

Par de bons yeux alors que l’on soit pénétré

En est-on moins considéré ?

Vois les gens dont Paris abonde,

Les petits parvenus dont le flot nous inonde,

La femme dont le nom est le plus déchiré,

L’homme le plus déshonoré,

Sont tous également bien reçus dans le monde.

On aura parlé d’eux dans le temps ; c’est assez,

Ils ont fait prudemment le plongeon, et du reste,

Dans ce court discrédit, par d’autres remplacés,

De l’esprit du public leurs torts sont effacés,

La honte passe et la fortune reste.

Que d’exemples frappants à nos yeux retracés !

Promène tes regards un peu sur la finance,

Tous ces hommes nouveaux sur la noblesse hantés,

Font même pour les grands briguer leur alliance,

Et les plus riches sont les mieux apparentés.

Va-t-on examiner d’un regard bien sévère

La noblesse du fils, la probité du père ?

Chicane-t-on les qualités,

Honneurs, plaisirs, amis, pleuvent de tous côtés.

Le riche a tout pour lui. L’indigent au contraire,

Avec tous les talents, son esprit, sa vertu,

N’a qu’un mérite à fonds perdu.

Qu’on l’accuse, qu’il ait quelque fâcheuse affaire,

À coup sûr il est opprimé ;

C’est l’état que l’on juge et non le caractère ;

On se sert contre lui, même de sa misère,

Et l’on dit, sans en être autrement informé,

La nécessité fait tout faire.

LE MARQUIS.

C’est ainsi que l’on peint et la Ville et la Cour

Dans le cercle étroit qui t’admire ;

Tu crois m’avoir instruit de l’histoire du jour,

Tu n’en a fait que la satyre.

Que font les hommes, selon toi ?

Des malheureux qui n’ont ni foi ni loi,

Et qui, par un calcul aussi faux que facile,

N’ayant jamais gouté les vrais plaisirs du cœur,

Pensent que la vertu, la nature et l’honneur

Ne valent pas un crime utile.

Vilsin, reviens de ton erreur.

La nature, crois-moi, de monstre est avare ?

Un cœur faible est commun, le scélérat est rare,

Son masque peut tromper, mais son front fait horreur.

Tu ne m’offres la mer qu’au milieu des orages ;

Tu crois trop aux méchants, aux fourbes, aux ingrats ;

S’ils sont plus connus que les sages,

Le crime fait du bruit, la vertu n’en fait pas.

LE COMTE.

Aussi voilà pourquoi, mon cher, tu n’en fais guère :

Ensemble, quelque temps, nous avons fait la guerre.

Exact à tes devoirs, marchant à tout propos,

Tu t’es battus comme un héros,

On ne dira pas le contraire.

Eh bien, moi, par exemple, en en faisant autant,

Je me suis intrigué, j’ai parlé, j’ai su plaire,

Et j’ai monté rapidement :

Et toi, tu viens d’avoir à peine un Régiment.

Tu n’as pour réussir qu’un moyen, j’en ai cent,

Et ton moyen est si vulgaire !

Entre nous, tu n’as pas la tournure qu’il faut,

C’est-là surtout ton grand défaut ;

Un pauvre diable croit qu’il suffit de bien faire ;

Il voit que non, il a vingt malheurs coup sur coup,

L’humeur le gagne, il devient loup garou ;

Car l’austère équité dont on fait étalage,

N’empêche pas que l’on enrage ;

La fausse honte encor quelque temps nous retient ;

Puis on s’impatiente, ont part et l’on revient

Peu satisfait de foi, comme de son voyage.

LE MARQUIS.

Dans tous ce que tu dis je vois ta vanité

Qui se plaît à s’en faire accroire ;

Abuse bien de ta victoire,

Je n’attendais pas moins de ta malignité.

Quelques soient les malheurs qui traversent ma vie,

Ton succès du moment n’éblouit point mes yeux.

Soit, avec ton système, heureux, si tu le peux,

Je ne te porte point envie.

J’attendrai l’avenir sans plaindre le présent,

Et sans craindre jamais le repentir cuisant

Dont la perversité tôt ou tard est suivie :

Tout mortel à sa peine, et surtout le méchant ;

Le seul honnête-homme est tranquille ;

Dans le sein des revers restât-il sans appui,

Le nom qu’il s’est fait est à lui,

Son propre cœur est son asile.

 

 

Scène V

 

LE COMTE, LE MARQUIS, LA MARQUISE, SOPHIE

 

LE COMTE.

Vous venez au salon pour y trouver Saint-Clar.

SOPHIE, voyant le Comte.

Ah Ciel ?

À la Marquise.

Retirons-nous.

LE COMTE.

Restez, Mademoiselle,

Je suis discret, peu gênant, très fidèle ;

Rassurez-vous à mon égard.

Vous consentez à couronner ma flamme.

LE MARQUIS, à la Marquise et à Sophie.

Qu’entends-je !

LE COMTE.

Si tu veux en paraître offensé,

Attends donc qu’elle soit ma femme.

LE MARQUIS.

Ta femme !

LE COMTE.

Oui, mon ami.

À part.

Le Contrat est passé,

Et je peux maintenant les laisser.

Haut.

La Comtesse

Flatte de cet espoir mon amour empressé.

LE MARQUIS.

La Comtesse, dis-tu ?

LE COMTE.

Mais-oui, j’ai sa promesse.

Je devine pourquoi cet aveu là te blesse :

On veut se faire un sort, on aime éperdument ;

On a devant les yeux l’objet de sa tendresse ;

Sans doute il est désespérant

De ne se pas hausser d’un cran,

Et de perdre encore la maîtresse.

Il sort.

LE MARQUIS.

C’en est trop, vos discours me fatiguent enfin.

 

 

Scène VI

 

SOPHIE, LE MARQUIS, LA MARQUISE

 

LA MARQUISE.

Méprisez-les, hâtons-nous, le temps presse,

Sachez que vous avez un rival dans Vilsin,

Que Sophie est forcée à lui donner la main.

SOPHIE.

Ne perdons pas de vue un moment la Comtesse.

LA MARQUISE.

Je viens de m’y prendre si bien

Que vous obtenez d’elle un secret entretien ;

Je la connais comme moi-même,

Elle vous estime et vous aime ;

Ouvrez-lui votre cœur et ne redoutez rien.

SOPHIE.

Si vos efforts, Saint-Clar, ne peuvent pas suffire,

J’aurai la force de tout dire ;

Je me jette à ses pieds, je lui parle de vous,

Je lui peindrai si bien la douleur qui me presse,

Je veux de tant de pleurs arroser ses genoux,

Qu’elle approuvera ma tendresse.

LE MARQUIS.

Combien je suis ému, pénétré, satisfait !

Ce langage ingénu de la simple innocence,

Même au sein du malheur est une jouissance

Que la seule vertu connait.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, LE COMTE

 

LA COMTESSE, à part.

Est ici que Saint-Clar demande à me parler.

LE COMTE, à part.

Ce tête-à-tête là me cause de l’ombrage.

LA COMTESSE, à part.

Peut-être il fait le mariage

Que j’ai dessein qu’il fasse, ah ! je vais le combler.

LE COMTE, à part.

Mais j’aurai foin de le troubler.

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, LE COMTE, LE MARQUIS

 

LE MARQUIS, à part, le Comte salue la Comtesse tandis que le Marquis parle. Voyant le Comte avec la Comtesse.

Encore ! Eh quoi ! Jamais je ne puis l’éviter !

Il a bien l’art de me déplaire.

Je jurerais qu’il va rester.

L’insupportable caractère !

Sa présence à la fin commence à m’irriter.

LA COMTESSE.

Comte, j’avais tantôt regret de vous quitter,

Saint-Clar est très plaisant quand il est en colère.

LE COMTE, voyant le Marquis.

Oui, très plaisant.

LE MARQUIS.

Allons, tâchons de l’écarter.

Quand le Marquis s’approche le Comte fait faire quelques pas à la Comtesse.

LE COMTE.

Saint-Clar par ses talents, ses mœurs et sa naissance,

Peut prétendre aux partis les plus avantageux,

On pourrait en trouver surtout dans la finance.

LA COMTESSE.

Eh bien, moi, j’ai trouvé ce qu’il lui faut.

LE COMTE.

Tant mieux ; Je sens que je jouis, cela m’affecte l’âme ;

Je vous reconnais là, Madame,

Ainsi d’un prompt hymen il va former les nœuds.

LE MARQUIS.

Pourrai-je sans témoin.

LE COMTE, à part.

Sans témoin tu peux.

LA COMTESSE.

Je regarde Vilsin comme de la famille,

Il ne tient plus qu’à vous d’épouser une fille

Riche d’un million.

LE COMTE.

Comme on prévient les vœux,

N’est-ce pas, mon ami ?

LE MARQUIS, à part.

Quel contretemps fâcheux !

LA COMTESSE.

C’est une fille unique, elle aura davantage.

LE COMTE.

Un million, Marquis, l’excellent mariage !

Le spectacle pour moi le plus délicieux,

Madame, c’est de voir un galant homme heureux.

LA COMTESSE.

Elle n’a que quinze ans tout au plus, et son père

Est un Négociant d’Hambourg,

C’est un des plus fameux.

LE COMTE.

Vous l’appelez.

LA COMTESSE.

D’Ausbourg.

La fille est bien, dit-on.

LE COMTE.

N’ai-je pas vu la mère.

LA COMTESSE.

C’est un de ces partis comme l’on n’en voit guère.

LE COMTE.

Et même comme on n’en voit pas.

LA COMTESSE.

Quoi ! Misanthrope que vous êtes,

Un million et des appas...

LE MARQUIS.

Je ne puis accepter l’offre que vous me faites.

LA COMTESSE.

Parlez-vous tout de bon ?

LE COMTE.

Ma foi, je n’en crois rien.

LE MARQUIS.

Je ne suis point tenté de sa fortune immense,

Ceux qui font autrement peut-être font très bien,

Mais l’argent selon moi ne vaut pas la naissance,

Et mon sang n’est pas fait pour s’allier au sien.

LA COMTESSE.

Comment ! votre fierté, Marquis, se scandalise.

Ah ! voilà du nouveau ; la proposition

Est choquante en effet : quinze ans, un million ;

De grâce excusez-moi, c’était une méprise,

Cet enfant ternirait l’éclat de votre nom,

Votre délicatesse est surtout de saison ;

Rejeter un parti que l’usage autorise

C’est être philosophe, ô vous avez raison !

LE COMTE.

Parlons vrai, c’est orgueil, vanité toute pure.

Le sage ne craint point de se mésallier,

Ne sommes-nous pas tous égaux par la nature ?

Le grand mal d’épouser le bien d’un roturier ?

Ce scrupule allemand est bon dans ces Chapitres

Où de pauvres Cadets jaloux de leurs vieux titres,

Victimes de l’orgueil et de l’oisiveté

Égorgent leur postérité.

On a cessé de croire à ces graves chimères,

À ces liens importants dont on berçait nos pères,

Et de philosopher devenus plus jaloux,

Nous voyons par nos yeux, nous pensons d’après nous.

Par sa solidité l’Homme du Monde étonne,

Nos Femmes, nos Abbés, à présent tout raisonne :

Vous entendez les grands vanter l’égalité,

Même certaines gens parler d’humanité,

Et lorsqu’à nos soupers, Madame, on apprécie

Le néant des grandeurs, ces revers de la vie,

De l’argent qui fait tout, on voit l’utilité.

Reviens de ton erreur, épouse et remercie

Ce siècle de finance et de philosophie.

LE MARQUIS.

Quel système inouï ! quel abus criminel !

C’est ainsi qu’on séduit la jeunesse crédule,

On cherche à colorer le poison qui circule,

On se dit philosophe, on n’est que personnel.

LA COMTESSE.

Quand ce ferait, voyez le beau scrupule,

Il en résulte un bien réel ;

Vivre un peu pour soi-même est-il si ridicule ?

D’ailleurs ne rit-on pas de ces hommes nouveaux

De tant de Parvenus échappés des Bureaux,

De ces grands Seigneurs de Finance

Qui veulent marcher nos égaux ?

La vérité du fait, c’est que leur alliance

A souvent étayé nos meilleures maisons,

Et réalisé l’existence

Du mérite indigent qui porte de grands noms.

Rien ne sert le mérite autant que l’opulence ;

Avec bien plus d’éclat on paraît au grand jour,

C’est un poids que l’on met pour foi dans la balance.

On trouve à s’arranger d’une charge à la Cour ;

Car il faut y tenir. La chose d’importance,

Cher Marquis, c’est d’avoir un pied dans ce séjour,

Cela peut mener loin même sans qu’on y pense.

Au Comte.

Pensez-y bien. – N’est-il pas vrai ?

LE COMTE.

C’est sur.

Oui, nous te marierons malgré ta répugnance.

Madame, je prétends le mettre au pied du mur,

Il faut le contenter sur l’objet qu’il demande.

LA COMTESSE.

Comment ?

LE COMTE.

En illustrant la petite Marchande.

Au Marquis.

Tu n’as qu’à dire. En ta faveur

Je lui fais cent aïeux. Veux-tu qu’elle descende

D’un Baron, d’un Margrave, ou bien d’un Empereur !

Il n’en coute pas plus ; mais sans plaisanterie,

J’établirai si bien la généalogie,

Que rien n’y manquera. Je trouve intéressant

Un honnête Bourgeois qui se réhabilite ;

Rien n’est si commun à présent

Qu’une Maison qui ressuscite.

LE MARQUIS.

Et moi je ne vois rien de plus avilissant ;

Vous croyez que j’irais, insolemment faussaire,

Marchander pour ma femme un titre imaginaire.

J’avouerais ce qu’elle est, Monsieur, en l’épousant :

L’honnête homme sorti d’une source vulgaire

À mes yeux est cent fois plus grand

Qu’un faquin illustré qui rougit d’un beau-père,

Et qui monte aux honneurs en se déshonorant.

LE COMTE.

Comment Marquis ! tu crois donc si facile

De se déshonorer : Ne le peut pas qui veut,

Je vois qu’en faisant ce qu’on peut,

On prend le plus souvent une peine inutile.

LE MARQUIS.

Comte, je suis choqué de tout ce que je vois.

Je vous le dis pour la dernière fois.

Je méprise le persiflage

Et le jargon sentimenté

Dont on fait un plat étalage,

Et les grands airs sans dignité.

À la Comtesse.

Pardonnez ce transport, il est involontaire,

Je ne suis point homme de cour,

Et malgré moi, les maximes du jour

Me transportent souvent d’une juste colère.

Madame, vos bontés vous ont donné des droits

Sur moi, sur ma reconnaissance.

Un autre obstacle encor plus grand que la naissance

S’oppose à vos desseins. J’aime, j’ai fait un choix,

J’ai consulté non l’opulence,

Mais la vertu, l’esprit, les talents, la décence.

Peut-être est-ce de vous que j’attends mon bonheur,

Souffrez qu’en ce moment je garde le silence,

Bientôt vous lirez dans mon cœur.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, LE COMTE

 

LE COMTE.

Ah, Madame, je vous admire ;

Vous persiflez les gens d’un air si sérieux,

Qu’on ne peut s’empêcher d’en rire ;

Pour s’en apercevoir, il faut d’excellents yeux.

LA COMTESSE.

Moi, je persifle !

LE COMTE.

On ne peut mieux.

LA COMTESSE.

Je ne sais point du tout ce que vous voulez dire.

LE COMTE.

J’aime votre sang-froid, il est délicieux,

Moi-même vous voulez me plaisanter peut-être.

LA COMTESSE.

Mais non, en vérité.

LE COMTE.

C’est ce qui me paraît.

Avouez que l’orgueil de Saint-Clar vous déplait,

Que vous l’avez raillé, qu’il méritait de l’être ;

J’ai vu que vous preniez d’abord adroitement

Le ton de l’intérêt ; l’air de la bonhomie.

LA COMTESSE.

Vous l’avez remarqué ?

LE COMTE.

Dès le premier moment,

Et vous l’assaisonniez d’une fine ironie.

De certains traits malins : avouez.

LA COMTESSE.

Franchement

Il en est quelque chose.

LE COMTE.

Eh mais assurément.

LA COMTESSE.

Ce n’était de ma part qu’une plaisanterie.

LE COMTE.

Oh, c’était fort innocemment.

LA COMTESSE.

Je crains qu’il ne s’en soit aperçu.

LE COMTE.

Nullement.

LA COMTESSE.

Tant mieux. Concevez-vous que l’on soit assez Dupe

Pour être ainsi berné sans s’en apercevoir ?

Non, rien n’est si plaisant.

LE COMTE.

Ni si facile à voir.

Me cacher son secret est tout ce qui l’occupe,

Et peut-être croit-il qu’il vous est échappé.

Comme il s’en applaudit ! Comme il est attrapé !

Car vous n’ignorez pas quel est l’objet qu’il aime,

Vous savez comme moi que c’est quelqu’un d’ici.

LA COMTESSE.

D’ici ? c’est donc Sophie, elle est la seule.

LE COMTE.

Eh oui,

Vous l’avez pénétré, c’est Sophie elle-même.

Quand je ne devrais pas l’épouser aujourd’hui.

Il faudrait le guérir de cette ardeur extrême

Et la lui refuser par amitié pour lui.

LA COMTESSE.

Sans doute.

LE COMTE.

Dites moi, quel adroit stratagème

Vous allez employer pour rompre ses desseins

Et pour en venir à vos fins ?

LA COMTESSE.

Je n’en fais rien encor.

LE COMTE.

Fort bien.

LA COMTESSE.

Je vous le jure.

LE COMTE.

Je vous vois cependant un air qui me rassure,

J’ai très bien deviné, je vous approuve fort.

LA COMTESSE.

Qu’avez-vous deviné ?

LE COMTE.

Ce que vous allez faire.

LA COMTESSE.

Mais expliquez-vous donc.

LE COMTE.

Dites-moi si j’ai tort ?

Aux regards de Saint-Clar vous allez vous soustraire ;

S’il voulait vous parler, ne fusse qu’un moment,

Vous le refuseriez impitoyablement.

LA COMTESSE.

Oui. Je vais presser le Notaire.

LE COMTE.

Non. Je vous l’enverrai dans le plus grand mystère –

Et comme de nos faits nous sommes convenus,

Alors que nous aurons terminé notre affaire,

Saint-Clar à vos desseins ne s’opposera plus.

LA COMTESSE.

C’est ce que j’ai pensé.

LE COMTE.

Je le crois.

LA COMTESSE.

Oui, c’est prendre

Le moyen le plus sûr que nous puissions avoir.

LE COMTE.

Tout le temps qu’il aurait une lueur d’espoir,

Vous sentez quelle peine il aurait à se rendre.

LA COMTESSE.

Sans doute.

LE COMTE.

Il est à plaindre avec sa probité.

De quoi se fâche-t-il ? D’une chose ordinaire ;

Eh comment vivrait-on dans la société ?

En me faisant jamais que ce que l’on doit faire,

Bon nombre de maris ne seraient plus trompés,

Et tous nos merveilleux feraient bien attrapés.

De quoi parlerait-on ? De fadeurs éternelles.

Il ferait beau vraiment d’apprendre pour nouvelles

Que tous nos gens de Cour sont de preux Chevaliers,

De voir de nos Robins les têtes sans cervelles

Prendre des airs moins cavaliers ;

De ne plus rencontrer que des femmes fidèles,

De ne plus réussir par le secours des belles,

Et de payer ses créanciers.

Il vaut mieux s’affranchir d’une chaîne incommode.

D’ailleurs c’est le goût d’aujourd’hui,

La tolérance est à la mode.

Et l’on prend son cœur par autrui.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, LA MARQUISE

 

LA COMTESSE.

Ah ! que Vilsin me plaît, que j’aime sa tournure !

Une femme ne peut qu’être heureuse avec lui.

Il sera bon époux.

LA MARQUISE.

Comme il est bon ami.

Je viens vous faire part de certaine aventure :

Du Comte de Vilsin j’ai voulu m’informer ;

Vous l’estimez beaucoup, je viens vous confirmer

Dans votre opinion.

LA COMTESSE.

Oh ! j’en étais bien sûre.

Outre qu’il a pour lui l’esprit et la figure,

Il a de la candeur, il a du sentiment

Et de la grâce infiniment.

LA MARQUISE.

Mais oui, de la candeur surtout, je vous le jure.

Tenez, à son sujet voilà ce qu’on m’écrit.

LA COMTESSE, lisant.

« Félicitez la petite Sophie, elle a gagné son procès »

Tout cela m’est égal, Vilsin a ma parole.

« On ne parte que de la plaisanterie qu’il a faite à la Baronne d’Arcie. »

Il est toujours plaisant, toujours gai, j’en raffole.

« La Baronne en est furieuse, elle veut se venger, l’affaire aura des suites. » Le mal est il si grand, pour faire un si grand bruit ?

Marquise, se venger est d’une petite âme.

LA MARQUISE.

Lisez, lisez...

À part.

La bonne femme !

LA COMTESSE.

« Le tour qu’il a joué hier à Compiègne, »

Comment donc, à Compiègne ? il ne m’en a rien dit.

« Quoique moins grave, m’affecte davantage, parce que c’est à notre bonne amie la Comtesse de Ponthieu ; elle l’a pris, pendant plus d’une heure, pour une étrangère avec laquelle elle voulait conclure... »

Je ne puis revenir de ma surprise extrême

Cette femme d’Ambourg était...

LA MARQUISE.

Était lui-même.

LA COMTESSE.

Mais j’avais donc perdu l’esprit.

Comment ? persifler une femme

Comme moi ! Mais, en vérité,

C’est une impertinence, une légèreté...

LA MARQUISE.

Et qui mérite bien qu’on lui rende, Madame.

LA COMTESSE.

Ah ! je veux qu’il apprenne à connaître les gens,

Je pense qu’avec moi ce ton-là ne va guères ;

Ce n’est qu’un fat et je prétend.

LA MARQUISE.

Un procédé si leste est bien fait pour déplaire ?

LA COMTESSE.

Vous voyez cependant que je suis sans colère.

LA MARQUISE.

Eh mais, sans doute, je le vois.

LA COMTESSE.

Se travestir, avoir la bassesse de faire

Le bouffon, le plaisant des soupers ; quel emploi !

C’est d’un si mauvais ton !

LA MARQUISE.

D’accord. Promettez-moi

Que notre ami Saint-Clar épousera Sophie.

LA COMTESSE.

Oui, c’est indigne à lui.

LA MARQUISE.

Comtesse, je vous prie,

Unissez-les, tous deux s’aiment de bonne foi !

LA COMTESSE.

Oui, je m’en vengerai.

LA MARQUISE, faisant signe à Sophie et au Marquis.

Venez.

 

 

Scène V

 

LA COMTESSE, LA MARQUISE, LE MARQUIS, SOPHIE

 

SOPHIE, à la Comtesse.

Je vous supplie

De m’entendre.

LA COMTESSE.

Arrêtez, vous vous aimez tous deux.

Je le sais, je l’approuve, et vais vous rendre heureux.

LE MARQUIS, à la Comtesse.

Madame, à mes transports mon cœur ne peut suffire,

Quoi, je serais heureux ? quoi, mon sort est changé ?

LA MARQUISE.

Paix, Marquis.

LE MARQUIS.

Que voulez-vous dire ?

LA MARQUISE.

Paix, avant que Vilsin ait reçu son congé,

Il faut qu’il soit puni, que vous soyez vengé.

À la Comtesse.

Il vient. Remettez-vous.

LA COMTESSE.

Oui.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LA BARONNE, SOPHIE, LE COMTE, LE MARQUIS, LE NOTAIRE

 

LA COMTESSE, au Comte.

Vous venez de lire

Vos lettres de Paris, que peut-on vous écrire ?

La Marquise parle tout bas au Notaire qui rachève le contrat.

LE COMTE.

Un fait original vous ne le croiriez pas,

J’ai Madame de Rive à présent sur les bras,

La Baronne d’Arcie a fait un étalage.

LA COMTESSE.

Les sots crieront toujours contre le persiflage.

LE COMTE.

« Ce badinage est d’un homme qui sacrifie trop le cœur à l’esprit. Il faut distinguer les principes des conventions. Il est des choses qui, sans être précisément mal, ne vont pas à des âmes honnêtes et sensibles. »

Remarquez-vous comme on écrit ;

Comme on est à la fois profond et bel esprit ?

C’est, avec le vernis de la philosophie,

Un style entortillé, que j’aime à la folie :

« Vous êtes sûrement perdu, si l’affaire n’est assoupie. Vous n’avez que deux partis à prendre, de venir sur le champ à Paris, ou de charger quelqu’ami. »

LA MARQUISE.

Un ami, ce n’est point difficile à trouver.

LA COMTESSE.

Sans doute, et surtout pour le Comte.

LE COMTE.

L’amitié, c’est mon faible, et je dois avouer

Que mes amis...

LA COMTESSE.

Il faut une réponse prompte :

Écrivez donc, afin de pouvoir achever

Votre mariage.

LE COMTE.

Oui.

LA COMTESSE.

Qui chargez-vous ?

LE COMTE.

Je compte

Charger... permettez-vous ?

LA COMTESSE.

Agissez sans façon.

LE COMTE.

Si j’écrivais à Montluçon,

J’aurai bien, si je veux, De Bruyères, Terville,

J’ai bien Melcour, Monmoreuil et Talmur ;

En fait d’amis, j’en pourrais conter mille,

Ce n’est pas l’embarras.

LA COMTESSE.

Mais le point difficile

Est d’en trouver un qui soit sûr.

LE COMTE.

Celui que je croirais le plus sûr, et qui m’aime.

LA COMTESSE.

Quel est-il ?

LE COMTE.

Devinez.

LA COMTESSE.

Mais encor.

SOPHIE.

C’est lui-même.

LA MARQUISE.

Comte, cet ami là vous a nui bien souvent.

LE COMTE.

Tout bien considéré, Madame,

Je crois que le plus court est d’aller à Paris,

Je connais la Duchesse ; on fait bien qu’elle est femme

À faire retentir Versailles de ses cris.

Je pars, et reviendrai dès demain je vous jure ;

Je vais toujours signer le Contrat, s’il est prêt.

LA COMTESSE.

Vous voulez nous quitter, ô non pas, s’il vous plaît.

LE COMTE.

De grâce, songez donc !

LA COMTESSE.

Fi, bagatelle pure ;

Vous ne parlez pas tout de bon,

Ne m’avez-vous pas dit que Precourt, Terrasson,

Étaient vos amis dès l’enfance ?

LE COMTE.

J’en conviens ; mais faut-il dire ce que j’en pense ?

De ce trait-là s’ils étaient informés,

Au fond de l’âme ils en feraient charmés.

Je verrais aussitôt sur moi fondre l’orage.

Quelle joie ils auraient de me tympaniser !

LA COMTESSE.

Quoi ! même vos amis voudraient s’autoriser...

LE COMTE.

Ce sont tous mes amis que je crains davantage.

LE NOTAIRE.

Le Contrat est passé.

LE COMTE, à Sophie.

Voilà

Un Contrat qui m’en donnera

Des amis.

Le Notaire présente le Contrat.

SOPHIE.

Croyez-vous ?

LE COMTE.

Ô je vous en assure.

À la Baronne.

Son doute est d’un très bon augure.

SOPHIE.

Moi, je ne vois pas trop comment ce Contrat-là

Pourra vous en donner.

LE COMTE, prenant la plume des mains du Notaire.

Marquis en conscience

Dis-moi, qu’en pense-tu ?

LE MARQUIS.

Je pense

Ce que j’ai dit tantôt, l’instant n’est pas prévu,

La nature l’emporte et bientôt l’homme est vu.

On te connaît enfin, cela doit te suffire.

LE COMTE.

Tu t’applaudis.

À la Comtesse.

Que veut-il dire ?

Je signe le contrat.

LA COMTESSE.

Je conviens de ce point,

Oui, vous l’allez signer, mais c’est comme témoin.

LA BARONNE, en riant.

Ah ! le tour est affreux.

LA COMTESSE.

Il ne peut vous surprendre.

Car après tout, à le bien prendre,

Je n’ai fait que tourner vos armes contre vous.

Vous nous avez persiflé tous,

Et j’ai crû devoir vous le rendre.

LA MARQUISE.

Ainsi gardez-vous bien de vous en prendre à nous.

LE MARQUIS.

De ces jeux de l’esprit le frivole étalage

À votre âge est peut-être un simple badinage,

Mais plus tard c’est un vice et non pas une erreur.

 Songez bien qu’un vieux persifleur

Est un homme blasé qui masque son visage,

Un esprit faux qui brille aux dépens de son cœur.

LA COMTESSE.

Mademoiselle a l’âme honnête et pure,

Et je dois lui laisser la liberté du choix.

Candeur, humanité, sentiment et nature,

Sont des mots que je dis rarement, mais j’y crois.

LE COMTE.

Vous y croyez ? et moi pareillement.

Sur un prétexte un peu frivole

Vous dégagez votre parole,

Et vous me parlez sentiment,

C’est à merveille assurément.

Dans le commerce de la vie

Faut-il appesantir la chaîne qui nous lie ?

C’est pour la liberté que les hommes sont faits,

Et les engagements sont des vœux indiscrets.

Vous comptiez me punir, ne prenez pas le change ?

Je vous parle de bonne foi,

Je me sens assez grand pour triompher de moi.

Apprenez comme je me venge.

À Sophie.

De l’hymen avec vous en formant les liens !

Je vous faisais rentrer dans tous vos biens :

Je vous les rends, j’en donne ma parole.

J’ai pouvoir de mon Père. Il n’est plus de procès ;

Point de remerciements. Pour sauver les délais

Il faut que je me rende à Paris, et j’y vole.

LA BARONNE.

Au moins le trait est noble.

LA COMTESSE.

Étalage frivole.

Son procès est perdu.

LA BARONNE, riant.

Fort bien.

LA COMTESSE.

Dans tous les cas.

Je fais du reste mon affaire.

Convenons que malgré tous ses effort pour plaire.

Un PERSIFLEUR amuse et n’intéresse pas.

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